Rakotondrainibe, F. & A. Jouy (2016). A new species and a new synonymy in the genus Selaginella P. Beauv. (Lycopodiophyta, Selaginellaceae) from Madagascar. Candollea 71: 143–148. In French, English and French abstracts. DOI : http://dx.doi.org/10.15553/c2016v711a17
A new Malagasy species of Selaginella P. Beauv. (Lycopodiophyta, Selaginellaceae) is described and a new synonymy in the same genus is established. The new species Selaginella rasoloheryi Rakotondr. belongs to the subgenus Heterostachys Baker; it differs from all other Africano-Malagasy species of this subgenus by the main stem being prostrated throughout its entire length, without soboles, with rhizophores and ramifications unbranched, and with median leaves strongly acuminate. Selaginella rasolohery has a close affinity to Selaginella ciliaris (Retz.) Spring, an asiatic and oceanic species, but differs from it by more pronounced leaf dimorphism in both vegetative and fertile shoots, median leaves longer acuminate, strobili less compact and lateral sporophyll carina narrow and dentate (vs. carina large and ciliate in Selaginella ciliaris). The new synonymy between Selaginella fissidentoides (Hook. & Grev.) Spring f.fissidentoides and Selaginella fissidentoides f. ovata Stefanović & Rakotondr. is established after observation of numerous Malagasy specimens recently collected between 1997 and 2015 after the publication of the first Selaginella revision for Madagascar and the Comoro Islands.
Introduction
Le genre Selaginella P. Beauv., seul genre de la famille des Selaginellaceae, comprend environ 700–750 espèces largement distribuées dans le monde. La majorité d'entre elles poussent dans les régions tropicales et subtropicales, sous des climats soit très humides soit au contraire arides. Quelques unes sont présentes en région tempérée, dans des milieux écologiques variés et quelques unes aussi dans les régions subarctiques. Malgré cette aptitude à occuper des milieux divers, les données ci-dessous montrent que l'endémisme spécifique chez les Sélaginelles est particulièrement élevé en milieu insulaire. Une des causes de cet endémisme est à rechercher dans leur biologie. En effet, les Sélaginelles sont hétérosporées; elles produisent des macrospores de grande taille (180– 1000 µm de diam.) et en nombre réduit (4 par macrosporange) ce qui limite leur capacité de dispersion sur de longues distances. Ainsi, sur 12 espèces recensées dans les îles des Mascareignes, deux sont endémiques de Rodrigues (les deux seules espèces présentes sur cette île) et dix endémiques des deux autres îles, Maurice et la Réunion (Badré, 2008). Dans l'état actuel des connaissances, aucune espèce du genre Selaginella de ces trois îles n'est partagée avec la grande île voisine, Madagascar, distante seulement d'environ 800 km. L'endémisme est souvent aussi régional : sur neuf espèces de Selaginella recensées au Sri Lanka, deux sont endémiques de cette île et quatre du Sri Lanka et du sud de l'Inde (Philcox, 2006). En comparaison, l'endémisme reste faible sur le continent africain. D'après les données disponibles : au Cameroun, deux espèces de Sélaginelle sur 15 sont endémiques (Tardieu-Blot, 1964) ; en Afrique australe, deux espèces sur 10 (Roux, 2009 ; Crouch et al. 2011) ; en Afrique centrale (Zaïre, Rwanda, Burundi), quatre sur 23 (Bizzarri, 1985) et dans la zone couverte par «Flora of East Africa», au plus une espèce sur 21 est endémique (Verdcourt, 2005). De ce point de vue, malgré sa superficie de 587 000 km2, Madagascar se comporte comme une île et affiche un taux d'endémisme des Selaginellaceae de 80% (Stéfanović et al., 1997).
Le premier traitement du genre à Madagascar (Alston, 1932) fait état de 13 espèces de Selaginella dont neuf sont endémiques. Selaginella imbricata (Forssk.) Spring ex Decne. est cependant à exclure de ce traitement car elle n'a jamais été retrouvée sur l'île et les spécimens cités sous ce binôme par Alston sont rangés par les auteurs modernes sous S. helicoclada Alston ex Alston. Stéfanović et al. (1997) décrivent quatre taxons nouveaux (trois espèces et une forme) et proposent la révision du genre pour Madagascar et les îles des Comores. Une deuxième révision du genre sera publiée ultérieurement dans un ouvrage en préparation sur les Ptéridophytes de Madagascar par la première auteure et ses collaborateurs. Cet ouvrage ne devant pas comporter de nouveautés taxonomiques, nous donnons ici en avant première la description de S. rasoloheryi Rakotondr., espèce nouvelle, et établissons la synonymie nouvelle entre les formes fissidentoides et ovata de S. fissidentoides van fissidentoides.
Espèce nouvelle
Selaginella rasoloheryi Rakotondr., spec, nova (fig. 1).
Typus : MADAGASCAR. Prov. Antsiranana : Andapa, réserve de Marojejy, à 13 km au SE de Do any, 14°26′12″S 49°37′12″E, 1150 m, 28.X.2001, Rakotondrainibe & Rasolohery 6425 (holo- : P [P00248501]! ; iso-: P [P01313265]!, TAN).
With its sterile leaves and sporophylls distinctly dimorphic, Selaginella rasoloheryi Rakotondr. belongs to Selaginella subgenus Heterostachys Baker. Among the species belonging to this subgenus, the combination of the following morphological characters is original: stem prostrate, creeping, up to 5,5 cm long, not articulate, without rhizome, with short, not branched ramifications; rhizophores not branched, ciliform, up to 1,7 cm, in branch axils throughout the length of the plant.
Plante prostrée, de petite taille, dépourvue de rhizome, de sobole et de tubercule. Tige principale rampante, longue de 4,5–5,5 cm, non articulée, ramifiée sur toute sa longueur; 7–8 ramifications simples, espacées de 0,3–1 cm, longues de 0,2–2,2 cm ; ensemble de la tige principale et des ramifications à contour ± linéaire. Rhizophores situés sur toute la longueur de la tige principale, jaune paille, simples, ciliformes, env. 0,1 mm de diamètre, longs de 8–17 mm, naissant à la base des ramifications de la tige, face ventrale, à l'aisselle des feuilles axillaires. Feuilles dimorphes, membraneuses, vert clair sur le frais, espacées sur la tige principale et contiguës ou légèrement imbriquées à l'extrémité des tiges avec une nervure médiane non apparente; feuilles latérales inéquilatérales, de 1,3-1,6 × 0,6-0,8 mm, à apex aigu à courtement acuminé, base obtuse, marge entière à denticulée, la moitié acroscopique semi-elliptique, la moitié basiscopique oblongue; feuilles axillaires semblables aux latérales mais équilatérales; feuilles médianes subéquilatérales, ovées, de 0,6-0,8 × 0,2-0,3 mm, base obtuse à subcordée, marge dentée-ciliée, apex brusquement et longuement acuminé, acumen aussi long que le limbe ou 2/3 de sa longueur. Strobiles solitaires, à l'extrémité des ramifications, résupinés, longs de 1,2–3,0 mm; sporophylles dimorphes : les latérales, formant un angle droit avec l'axe du strobile, ovées-lancéolées, de 1,0-1,2 × 0,3-0,5 mm, à apex aigu à courtement acuminé, base obtuse, marge lâchement denticulée, carénées, à carène étroite, finement dentée ; les médianes ovées, de 1,0-1,2 (acumen compris) × 0,3-0,4 mm, non carénées, apex brusquement et longuement acuminé, base obtuse, marge ciliée; 2-3 macrosporanges à la base du strobile, contenant chacun 4 macrospores blanches, globuleuses, trilètes, à paroi lisse à finement rugueuse-verruqueuse, non réticulée; microsporanges distaux contenant de nombreuses microspores rouge-orangé, tétraédriques, trilètes.
Etymologie. — L'épithète spécifique a été choisie en l'honneur d'Andriambolantsoa Rasolohery, botaniste malgache, qui a participé à l'expédition dans le Marojejy durant laquelle l'espèce nouvelle a été récoltée.
Distribution géographique et écologie. — Cette espèce endémique de Madagascar n'est connue que par une seule récolte en provenance de la partie occidentale du massif de Marojejy (Nord-Est) où elle a été observée dans le sous-bois de la forêt sempervirente, à 1150 m d'altitude, en tapis dense sur le sommet d'un rocher, dans une vallée encaissée.
Notes. — La monophylie des Selaginellaceae a été confirmée par plusieurs analyses moléculaires (Korall et al. 1999; Wikström & Kenrick, 1997 ; Zhou & al. 2015). La majorité des spécialistes s'accordent à reconnaître un seul genre dans la famille, Selaginella, subdivisé en quatre (Baker, 1883 ; Walton & Alston, 1938), cinq (Jermy, 1986), six (Zhou & Zhang, 2015) ou sept sous-genres (Weststrand & Korall, 2015). La nouvelle espèce, S. rasoloheryi, appartient au sous-genre Heterostachys Baker selon la classification de Jermy (1986). Malgré le fait que le sous-genre Heterostachys ainsi défini ne soit pas monophylétique, nous suivons ici la classification de Jermy (1986) basée uniquement sur la morphologie des taxons car, dans la phylogénie moléculaire (Zhou & Zhang, 2015) à l'origine de la classification de Zhou et al. (2015), le nombre d'espèces de Madagascar pris en compte est trop restreint.
Les caractéristiques morphologiques qui justifient le classement de S. rasoloheryi dans le sous-genre Heterostachys sont les suivantes : tige non articulée et absence de rhizome; enracinement de la tige principale par des rhizophores naissant sur la face ventrale, à l'aisselle des feuilles axillaires; feuilles stériles et fertiles dimorphes disposées sur 4 rangs; strobiles bilatéraux, aplatis dorsi-ventralement. Le sousgenre Heterostachys est représenté à Madagascar par huit espèces qui peuvent se distinguer de la façon suivante (clé de détermination basée en grande partie sur celle de Stefanović et al. (1997) :
Clé d'identification des espèces malgaches de Selaginella subg. Heterostachys
1. Tige à partie basale souterraine épaissie; présence de soboles S. goudotiana var. goudotiana
1a. Tige à partie basale souterraine non épaissie; absence de soboles 2
2. Feuilles médianes à apex aigu (non acuminé) 3
2a. Feuilles médianes à apex acuminé (parfois courtement acuminé chez S. perpusilla) 4
3. Plante de 2,0–4,5 cm de longueur; tige peu ou pas ramifiée; ramifications courtes et généralement simples; strobiles lâches, de 5–8 mm de longueur S. bemarahensis
3a. Plante plus grande, de 5–10 cm de longueur ; tige ramifiée; ramifications 1-ramifiée ; strobiles ± compacts, de 2– 4,5 mm de longueur S. sambiranensis
4. Ensemble tige principale et ramifications à contour deltoïde, de couleur vert-gris sur le sec S.perpusilla
4a. Ensemble tige principale et ramifications linéaire, lancéolée ou oblancéolée, de couleur verte 5
5. Tige rampante, à ramifications simples; rhizophores présents tout le long de la tige principale S. rasoloberyi
5a. Tige dressée à subdressée, à ramifications 1–3 ramifiées; rhizophores ramifiés dichotomiquement, présents sur les 1/3–1/2 inférieurs de la tige principale 6
6. Feuilles médianes 4–5 fois plus petites que les latérales, à marge entière; tige principale longue de 3–8 cm S. marinii
6a. Feuilles médianes environ 2 fois plus petites que les latérales, à marge denticulée, dentée ou ciliée; tige principale longue de 5–25 cm 7
7. Sporophylles médianes à marge longuement ciliée; feuilles stériles latérales ciliées au moins sur leur marge basale acroscopique; cils souples de longueur et espacement souvent irréguliers S. unilateralis
7a. Sporophylles médianes à marge denticulée à dentée; feuilles stériles latérales denticulées à dentées au moins sur leur marge basale acroscopique; dents raides, courtes, de longueur et espacement réguliers S. hildebrandtii
Ainsi, l'espèce nouvelle Selaginella rasoloheryi se distingue des sept autres espèces par l'absence de soboles à la base des tiges, une tige principale prostrée sur toute sa longueur, portant des rhizophores et des ramifications simples avec des feuilles médianes à apex nettement acuminé. L'espèce malgache morphologiquement la plus proche est S. marinii; elle se différencie de l'espèce nouvelle par son port subdressé, des rameaux latéraux 1–3 fois ramifiés et des rhizophores eux-mêmes ramifiés et localisés sur les 1/3–1/2 inférieurs de la tige principale.
Parmi les espèces non malgaches appartenant au sousgenre Heterostachys, l'espèce africaine la plus proche de Selaginella rasoloheryi, S. tenerrima A. Braun ex Kuhn d'Afrique tropicale, s'en distingue par son port plus ou moins dressé, des rhizophores localisés seulement à la base des tiges, des ramifications pennées (Bizzarri, 1985) et aussi une écologie et une biologie différente adaptée à la sécheresse (Kornaś & Jankun, 1983). Une espèce asiatique, dont l'aire de distribution s'étend de l'Inde et du Sri Lanka jusqu'à l'Australie, S. ciliaris (Retz.) Spring (= S. belangeri (Bory) Spring), présente de nombreuses ressemblances avec S. rasoloheryi. Les différences morphologiques résumées dans le Tableau 1 résident plus dans les tailles respectives des différents organes que dans des structures différentes. Les plus notables sont le dimorphisme des feuilles plus accentué dans le nouveau taxon, des feuilles médianes beaucoup plus longuement acuminées avec un acumen aussi long que le limbe ou 2/3 de sa longueur; des strobiles lâches et non compacts et des sporophylles latérales faiblement carénées à carène étroite et dentée (vs. carène large et ciliée chez Selaginella ciliaris). Notons cependant que dans un genre tel que Selaginella où les convergences de formes, dues entre autre à l'adaptation à des milieux contraignants, sont nombreuses, la simple comparaison morphologique des espèces est insuffisante pour détecter les espèces affines. Les données présentées ici devront être affinées par des séquençages de l'ADN et des phylogénies prenant en compte un plus grand nombre d'espèces de la Région Malgache que celles publiées à ce jour.
Fig. 1.
Selaginella rasoloheryi Rakotondr. A. Plante entière; B. Détail d'une partie stérile de la tige feuillée, face dorsale, avec les feuilles médianes de petites taille, les feuilles latérales plus grandes et une feuille axillaire à la base de la ramification de la tige; C. Strobile.
[Rakotondrainibe & Rasolohery 6425, P] [Dessin : A. Jouy]

Tableau 1.
Morphologie comparée de Selaginella rasoloheryi Rakotondr. endémique de Madagascar et de S. cillaris (Retz.) Spring, espèce d'Asie et d'Océanie (d'après Jermy & Holmes, 1998; Philcox, 2006; et obs. pers.). Les valeurs ou caractères discriminants sont notés en caractères gras.

Synonymie nouvelle
Selaginella fissidentoides (Hook. & Grev.) Spring in Bull. Acad. Roy. Sci. Bruxelles 10: 142.1843.
≡ Lycopodium fissidentoides Hook. & Grev. in Bot. Misc. 2:395.1831.
Typus : Madagascar : sine loc., s.d., Lyall 267 (holo- : K [K000351271 spécimen à droite sur la part] image vue).
= Selaginella fissidentoides f. ovata Stefanović & Rakotondr. in Novon 6 : 208. Typus : Madagascar. Prov. Toamasina : forêt d'Analamazaotra, Est-Centre, 800 m, s.d., Perrier de la Bâthie 6087 (holo- : P [P00075472]!; iso- : P [P00075473, P00466603]!, syn. nov.
Notes. — La différenciation des formes ovata et fissidentoides a été basée sur la morphologie différente des feuilles latérales, axillaires et médianes. Chez S. fissidentoides f. ovata, la moitié acroscopique des feuilles latérales à un contour semi-ové (vs semi-lancéolé), les feuilles axillaires sont ové es (vs lancéolées) et les feuilles médianes sont oblongues (vs lancéolées). L'observation de nombreuses récoltes récentes a mis en évidence l'existence de morphologies intermédiaires entre ces deux formes, raison pour laquelle la synonymie entre ces deux taxons est proposée. La différenciation des deux variétés fissidentoides, endémique de Madagascar, et amphirrhizos (A. Braun ex Hieron.) Stefanović & Rakotondr., endémique d'Anjouan et du Nord-Ouest de Madagascar, est maintenue. Les deux variétés se distinguent sans ambigüité par la forme des auricules des feuilles médianes, droite et obtuse chez la variété fissidentoides, recourbée vers l'extérieur et aiguë chez la variété amphirrhizos (Stefanović et al. 1997:37, tab. 4, fig. E–F).
Remerciements
Les auteurs remercient vivement Petra Korall et Martin Callmander; leurs remarques et suggestions ont été prises en compte dans la version finale du manuscrit.